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Polar Base : critique
by Sbeu on mar.25, 2014, under Crobards
Afin de ne pas s’arrêter en si bon chemin, j’ai testé pour vous Polar Base (de Jérôme Larré et Ludovic Papaïs aux éditions la Boîte à Heuhh) avec l’aide d’epsyloN et de Guido.
C’est donc un jeu narrativiste piloté par des cartes. Les règles sont toutes simples. Les joueurs incarnent des scénaristes embauchés par une boîte de prod qui veut sortir un nanard dont le pitch est le suivant : durant une tempête, le contact a été perdu avec une base polaire de recherche en antarctique. Lorsque l’équipe de secours parvient sur le site, elle découvre les cadavres des neuf membres de la mission et des signes manifestes de violence.
En outre, chaque scénariste est aussi l’agent d’un acteur qu’il essaie de mettre en avant (moyen d’avoir un personnage principal).
La narration est anti-chronologique. Comme tout le monde est mort et qu’on meurt à l’écran, la première scène où un personnage apparaît est aussi la dernière de son existence, no exceptions.
Restent les cartes. Elles désignent des objets qui sont autant de pistes de narration. Chaque joueur raconte une scène avec son perso en faisant forcément intervenir une de ses cartes. Les autres joueurs peuvent l’interrompre durant sa narration en lui posant une question et lui filant une de leurs cartes. La carte est la réponse à cette question.
Après chaque tour de table, on vote pour le meilleur. Au bout d’un moment, on propose des intros au film, celui qui a le plus de points gagne et son intro est retenue. Facile, hein ?
Et une petite critique dans le feu de l’action :
Comme on n’a fait qu’une partie, je pense qu’on a eu des soucis dus à notre inexperience sur ce système et je ne peux pas certifier que toutes les parties tourneront de la même manière mais voici quelques éléments de notre ressenti.
Les cartes sont un élément à double tranchant. Elles constituent à mon sens la force et la faiblesse du jeu. Ça apporte de la richesse au jeu et ouvre plein de pistes (elles suggèrent toutes des tropes qui aident à orienter la narration et à expliquer ce qui se passe : serial killer, surnaturel, experimentations contre nature, grands anciens).
Le problème, c’est que comme elles tombent sous forme de contraintes imprévues et avec une forte fréquence, on a beaucoup de mal à capitaliser sur toutes et la narration devient vite très décousue. Plein de pistes sont ouvertes sans être fermées.
Du coup, l’avantage est que c’est fun, rapide et avec énormément de possibilités qui font avancer facilement la narration sans préparation, le revers est que toutes ces possibilités se mélangent et que plein d’éléments intrigants et qui mériteraient d’être creusés restent anecdotiques, sous employés et finalement inexpliqués alors que leur intervention dans la scène laissait entendre qu’ils auraient un rôle à jouer.
Comme disait Guido : « en fait, les scénaristes de Lost, ils jouaient à Polar Base ». A titre d’exemple, a force d’avoir des tropes qui s’empilent, on a quand même fini avec des zombis nazis mutants affectés par des horreurs indicibles d’outre temps que plusieurs groupes d’agents infiltrés tentaient d’empêcher d’être récupérés par une conspiration illuminati.
C’est beaucoup…
L’autre point, c’est que les interruptions empêchent souvent de placer des scènes d’exposition plus posées. Du coup, le rythme est effréné, ce qui est bien mais comme il n’y a jamais de pauses, les moments épiques en ressortent affadis.
Pour finir, un mot sur la narration anti-chronologique. C’est une bonne idée et c’est agréable à jouer pendant la partie. Par contre, quand on parvient à la fin, on se rend compte que ça a des effets secondaires inattendus. Le spectateur peut finir par savoir ce qui s’est passé, les personnages, par contre, ne le sauront jamais. Au moment où ils meurent, le scénario n’a pas encore d’explication et les scènes de mort arrivant dès le début de la construction, la personnalité et le passé des personnages n’est pas encore établi et elles n’ont donc pas le souffle épique du sacrifice d’un personnage jusque là parfaitement égoïste par exemple. Donc la mort d’un personnage principal n’est pas spécialement significative alors que dans le film, ça devrait être le moment où les spectateurs souffrent pour lui et sortent leurs mouchoirs car ils ont du vécu en commun avec le héros. Ou alors faut avoir anticipé ça dès le début mais les interruptions rendront alors la narration très difficile au lieu de la faciliter. En outre, l’histoire se révèle à mesure qu’on remonte le temps mais comme les personnages deviennent de plus en plus ignorants, ils ne peuvent faire aucun lien logique. A chaque scène, le personnage ne sait pas ce qui a précédé parce que ça n’a pas été raconté et ne sait pas ce qui va suivre parce que c’est dans le futur. Ça a un effet « Hyperion : Rachel Weintraub RPG » et c’est très frustrant.
Du coup, j’ai un avis partagé sur ce jeu. C’est rigolo, dynamique, pas prise de tête et ça doit se fluidifier avec la pratique mais on a du mal à ressentir de l’empathie pour les personnages qui ont difficilement la possibilité d’être réactifs face aux éléments de réponse qui s’accumulent. L’histoire devient vite décousue à cause de la profusion d’éléments et d’indices et j’ai l’impression que ça risque de souvent finir par converger sur un magma qui mêle plein d’explications partielles sans en privilégier. Enfin quand on recolle les morceaux et qu’on regarde l’histoire globale, ça manque de cohérence et de focus alors que ce que j’aime bien dans le narrativisme, c’est que les joueurs amènent des thèmes qui leur tiennent à cœur et finalement, une histoire cohérente se constitue autour et lie le tout. Ici, les thèmes sont assez imposés et le liant ne tient pas forcément bien.
Je pense qu’il faut plutôt voir Polar Base comme un puzzle game où on tente de recoller des morceaux de scénar sans se laisser dépasser (ou comme un petit jeu fun où on se tape de la cohérence et où on empile les tropes que le jeu nous suggère en pourrissant allègrement les copains). Globalement, on a tout de même passé un fort bon moment.
J’essaierai de faire un compte rendu mais c’est bien plus délicat que sur les autres jeux auxquels j’ai joué récemment.
Rien à voir mais une petite gribouille totalement unrelated que j’avais en cours et que j’ai finie là. Elle plaira à LCF, ya une bouche moustache…