Interlude éducatif, où l’on gagne beaucoup d’honneur.
by Sbeu on mar.27, 2014, under Crobards
Suite à mon périple de l’été dernier et sur les conseils avisés d’epsyloN, je suis en train de lire la saga (j’espère que Typhon passe encore par ici de temps en temps, ça lui fera plaisir de voir ce mot employé à bon escient) de Njal le brûlé, figure éminente du moyen-âge islandais.
C’est une lecture que je ne peux que recommander. Le style lapidaire du chroniqueur qui va droit à l’essentiel (et les probables difficultés de traduction) contribuent à poser une ambiance tout à fait immersive où les seigneurs locaux se tapent dessus avec entrain et gagnent beaucoup d’honneur. C’est sur se dernier point que l’on s’attardera aujourd’hui.
Comme on pouvait s’y attendre, l’honneur est le point crucial de la vie de l’islandais un minimum noble. Ce qui est bien plus surprenant, c’est que l’honneur y est décrit comme un produit tout à fait quantifiable. Je vous propose donc dans la suite de cet article un petit tutorial pour gagner beaucoup d’honneur.
Mais déjà, l’honneur, comment ça se gagne ?
On passera rapidement sur les moyens classiques d’acquérir de l’honneur
- Pourfendre moult ennemis dans des batailles en notre défaveur
- Raider du butin à l’étranger
- Avoir un talent spécifique : voir l’avenir, ne jamais mentir, nager comme un phoque (sic.)
- Naître dans une famille honorable
- S’allier avec une famille honorable par le mariage ou l’adoption
- Avoir un rang social établi
Tout ça c’est bien joli mais ça a l’air dur de gagner de l’honneur en fait. Pas de panique, il existe en effet bien d’autres moyens d’en accumuler. La clé, c’est avec qui tu agis socialement :
- Interagir honorablement avec une famille avec de l’honneur. Ici, ça fonctionne comme les classements au tennis sauf que tout le monde gagne. Interagir socialement avec une famille plus honorable permet de gagner beaucoup d’honneur tandis que la famille la plus honorable en gagne un peu. Note : en Islande, au XIII ème, interagir socialement, c’est inviter à des fêtes et offrir des cadeaux. Ca reste donc assez coûteux et il ne faut pas faire de faute de gout sur le cadeau.
- Conclure une transaction ou arbitrer une querelle entre gens honorables.
- Gagner un procès : l’Islandais moyenâgeux est assez procédurier et les procès sont une source intarissable d’honneur. Il n’y a même pas besoin de le gagner, une belle procédure sans faille exploitable, c’est déjà un beau paquet d’honneur gagné. De ce que j’ai compris, les procès sont lancés contre des gens honorable qui reconnaissent de toutes manières leurs torts donc le seul moyen de gagner un procès quand on défend, c’est le vice de procédure.
Document histoirque représentant Njal le brûlé (aussi surnommé Phoenix Njal car il renaît de ses cendres hahaha…) en pleine plaidoierie.
Perdre de l’honneur. Le risque est grand dès que l’on fait soi même quelque chose qui enfreint les règles ci-dessus, on perd de l’honneur dans des proportions similaires.
Il existe néanmoins une faille qui réside dans le fait qu’il est honorable de respecter la volonté d’autrui, même s’il est rattaché hiérarchiquement au clan que l’on dirige. Un acte déshonorable tâche la responsabilité de celui qui le commet et pas de ceux qui l’ont laissé commettre. En gros, la non assistance à personne en danger, c’est un truc pour les faibles.
De même, révéler un secret ou une information compromettante fait perdre de l’honneur même si sa divulgation permettrait de sauver quelqu’un.
Du coup, la boucle infinie d’honneur :
Avant de débuter, il est à noter qu’elle semble fonctionner en Islande au XIIIème siècle mais que sortie de ce contexte, je déconseille assez fortement son application. La fameuse faille présentée ci-dessus n’est en effet plus d’actualité dans la majorité des contextes modernes.
- Naissez dans une famille d’hommes libres.
- Déclarez votre intention de partir à l’étranger. Votre seigneur local financera votre voyage pour peu que vous soyez neutre en honneur en vous prêtant un bateau et des compagnons. Si vous êtes en négatif, nagez comme un phoque et lèchez quelques bottes. Un petit cadeau à des gens blindés d’honneur devrait équilibrer la balance.
- Raidez la côte d’un pays étranger. Offrez la moitié du butin au seigneur local ennemi de la province raidée. Gardez les esclaves, les navires capturés et 200 onces d’argent c’est très important. Passez l’hiver au chaud chez votre protecteur.
- Au printemps, émettez le souhait de rentrer en Islande. Votre protecteur vous fournira la farine pour le trajet du retour même si la disette menace (question d’honneur). Il vous offrira une breloque exotique qui permettra d’attester que vous êtes dans ses bonnes grâces.
- De retour à la maison, offrez les bateaux pris à votre mécène, ils ne vous serviront plus. Ça et la breloque permettent d’officialiser l’honneur gagné à l’étranger.
- Il est temps de vous munir d’un accessoire essentiel : une épouse. Fort de votre nouvel honneur, la tâche devrait être aisée. Faites financer la part de votre dot par votre protecteur qui vous en doit une parce que vous venez de lui ramener des bateaux et du butin. Pour plus de simplicité, épousez sa fille si possible.
- Installez vous dans le domaine reçu en dot.
- Rapprochez vous de la famille la plus honorable de la région (plus honorable que votre famille).
- Arrangez vous pour que votre épouse se fâche avec l’épouse du chef de votre famille cible. A ce que j’ai compris, ça a l’air très facile. Cette phase ne nécessite pas d’intervention active de votre part.
- Tôt ou tard, votre épouse enverra un esclave (je vous avais bien dit qu’il fallait en garder) narguer la famille d’en face en chassant chez eux ou en coupant leur bois. Vous le savez mais l’empêcher contraindrait sa liberté et nuirait à votre honneur (la fameuse faille)
- L’esclave en question finit par mourir de mort violente.
- Nommez vos témoins, lancez un beau procès dans les formes au prochain Althing. La procédure bien menée vous fait gagner beaucoup d’honneur.
- Acceptez un arbitrage à l’amiable, recevez la compensation pour l’esclave tué. L’arbitrage fait gagner de l’honneur à tout le monde et neutralise tout précédent fâcheux. Vous êtes donc toujours en excellents termes avec le chef voisin. C’est pas votre faute si vos épouses ne peuvent pas se blairer.
- Gardez précieusement la compensation, si possible dans la bourse même qui la contenait.
- Votre épouse n’accepte pas la compensation. Elle fera donc tuer un esclave d’en face sous peu. Cela n’engage pas votre honneur.
- Demandez un arbitrage lors du procès qui suivra, rendez la compensation. Beaucoup d’honneur est gagné aujourd’hui.
- Itérez. Au bout d’un moment, ça escaladera et on ne parlera plus d’esclave mais d’hommes libres, puis de vos fils (à ce moment, vous devriez avoir acquis cet accessoire). Au fait, vous avez bien gardé les 200 onces d’argent ? Parce qu’il vaut mieux les avoir sous le coude, c’est la valeur de compensation d’un homme libre.
- Arrêtez l’affaire quand la dernière possibilité est d’engager un duel avec le chef d’en face. A ce moment, il est bien plus vieux que vous et il refusera l’affrontement. Dans ce cas, il perdra de l’honneur et vous deviendrez l’homme le plus honorable de la région.
Vous êtes désormais respecté et tous les hommes moins honorables que vous vous jalousent. Vous vous êtes probablement fâché avec votre femme d’ailleurs, n’ayez crainte, quand les jeunes loups en quête d’honneur appliqueront la recette miracle sur vous, elle sera là pour précipiter votre trépas en souvenir de la fois ou vous avez interrompu sa soif insatiable de vengeance parce que ça suffit maintenant.
Félicitations, vous êtes mort honorablement.
Allez, à bientôt pour la fin de Polar Base.
mars 28th, 2014 on 13 h 17 min
Si on est une femme, il faut inverser les sexes ? Ou est-ce qu’on n’en a rien à faire de l’honneur ?
Je me dois de critiquer ton dessin : Njall n’avait pas de barbe. Et justement, je me demande quelle influence ça a pu avoir sur son honneur.
Je l’avais déjà posté ici, mais en l’honneur de Platiton, Ctrl+C, Ctr+V :
Law and Order: Snæfellsnes (extrait d’une authentique saga) :
“We’ve come here to look for the horses stolen from me in the autumn,” said Thorbjorn. “I mean to search your premises.”
“Have you a proper warrant?” asked Thorarin. “Have you appointed lawful witnesses to be present? What guarantees can you give for our safety while you’re searching? Have you searched everywhere else?”
“I don’t think there’ll be any need to search elsewhere,” said Thorbjorn.
“If you’re not ready to go about it legally,” said Thorarin, “I forbid you to search my premises.”
mars 28th, 2014 on 15 h 19 min
Quand on est une femme, on est bien trop intelligente pour en avoir quoi que ce soit à carrer de l’honneur. Et j’ajoute qu’on ne se satisfait pas de compensations légales parce que quand même, t’as vu comment elle m’a parlé, l’autre truie ? C’est pas une question d’être à égalité avec l’autre famille, le but, c’est de les humilier sans compensation sinon il n’y a pas de sport.
« Njall n’avait pas de barbe ». Putain, c’est tellement vrai. J’avais tellement le nez dans le guidon que j’ai pas fait gaffe. C’est impardonnable.
D’autant plus que dans la saga, c’est mentionné des milliers de fois (et c’est le point d’entrée facile pour remettre en cause son honneur. Il est parti avec un putain de malus. Heureusement qu’il voit le futur et ne ment jamais).
avril 7th, 2014 on 15 h 41 min
« Quand on est une femme, on est bien trop intelligente pour en avoir quoi que ce soit à carrer de l’honneur » c’est juste beau à lire.
« Arrangez vous pour que votre épouse se fâche avec l’épouse du chef de votre famille cible. A ce que j’ai compris, ça a l’air très facile. Cette phase ne nécessite pas d’intervention active de votre part. »
j’adore.
Dans l’ensemble, j’aime beaucoup, même si je ne suis vraiment pas sûre de lire cette saga dans les mois qui viennent.